Nous sommes allés pêcher la rivière Ausable dans les Adirondacks. Cette rivière, autrefois réputée pour la qualité de ses poissons indigènes, reste aujourd’hui une destination de choix pour les pêcheurs sportifs en quête de truites brunes et arc-en-ciel.
Bien que nous sachions que plusieurs des truites indigènes de cette rivière ont été décimées au cours des années pour diverses raisons, nous nous intéresserons ici à la nécessité actuelle de l’ensemencement constant et à la fluctuation de la qualité de la pêche sur cette rivière.
Plusieurs études démontrent que les poissons élevés en captivité prennent jusqu’à 10 jours avant de commencer à se déplacer. N’ayant pas été habitués à chasser en rivière, ces poissons seront des proies faciles pour les pêcheurs qui, en lançant leur mouche, leur offrent une nourriture facile, reproduisant ainsi les habitudes de nourriture en ferme piscicole. Ainsi, un pêcheur qui s’adonne à lancer dans un endroit ensemencé dans les 10 jours précédents expérimentera probablement une pêche miraculeuse. Toutefois il faut savoir que ces truites, affaiblies par le transfert des bassins de piscicultures vers la rivière, présentent déjà un taux de mortalité élevé qui dépasse les 90% et sont plus à risque de succomber à une manipulation hors de l’eau. Avec la quantité de pêcheurs sur cette rivière et les informations fournies dans ces lignes, nous comprenons pourquoi les programmes d’ensemencement doivent être renouvelés à chaque année afin de renouveler la population de poissons et assurer une certaine qualité de pêche.
D’autre part, plusieurs pêcheurs affirment revenir bredouilles de cette magnifique rivière. Sachant que les poissons ensemencés sont plus facile à capturer que les poissons naturalisés, pourquoi la qualité de pêche est-elle donc si instable sur cette rivière? Selon certains, les poissons provenant de fermes piscicoles tendent, après leur période d’acclimatation, à voyager en suivant le sens du courant et peuvent se déplacer, en peu de temps, sur plusieurs kilomètres. Ainsi, comme la majorité des pêcheurs tendent à retourner aux endroits où ils ont connu du succès, il est possible qu’une fosse ne produise aucun poisson alors que quelques jours auparavant, elle était la plus productive de la rivière. Les poissons naturalisés ou natifs de la rivière, quant à eux, sont plus craintifs et mieux éduqués. Les pêcheurs qui abordent les fosses en pensant s’attaquer aux poissons ensemencés ne prennent donc pas les précautions nécessaires lors de l’approche de la rivière pour ne pas apeurer ces spécimens. Ainsi, il est normal qu’après le départ des poissons fraîchement introduits dans la rivière, plusieurs ne réussissent pas à faire mordre les poissons résidents.
Cela dit, toutes les espèces ne se déplacent pas à la même vitesse et pour les mêmes raisons. Les truites mouchetées, par exemple, présentent un taux de mortalité extrêmement élevé et les individus qui survivent tendent à descendre la rivière assez rapidement. Les truites brunes peuvent prendre jusqu’à 50 jours avant de recommencer à se nourrir en rivière et vont suivre le courant pendant ce temps, jusqu’à trouver une fosse protectrice. Par la suite, elles peuvent parcourir plusieurs kilomètres de rivière chaque jour pour se rendre à leur endroit de chasse préféré. Elles retourneront ensuite dans leur fosse de protection, à l’abri des prédateurs. Les truites arc-en-ciel, quant à elles, sont celles qui s’adapteront le plus rapidement à un nouvel environnement. Après quelques jours seulement, elles commenceront à se nourrir et à délimiter leur territoire. Ces truites sont aussi celles qui voyagent le plus. Certains individus ensemencés dans des rivières américaines sont reconnus pour avoir parcouru plus d’une centaine de kilomètres en quelques semaines seulement! Ainsi, il est normal que la qualité de pêche fluctue grandement entre les ensemencements. Une approche plus furtive sera donc à privilégier pour tenter de croiser le fer avec une truite naturalisée ou native.
Sachant donc que les poissons provenant de piscicultures meurent, en grande majorité pendant leurs deux premières années en rivière et que ceux qui survivent se déplacent sur de longues distances, il est normal de se questionner quant à la pertinence de l’ensemencement de masse tel qu’il est effectué sur la Ausable. Les autorités qui s’occupent de cette rivière tentent indéniablement de stimuler l’économie locale qui s’est construite autour de la pêche. Toutefois, un ensemencement ciblé de poissons puisés dans des ruisseaux environnants ne serait-il pas plus pertinent pour rétablir une population stable et naturelle? Plusieurs organismes comme Trout Unlimited (US et Canada) se penchent sur de telles questions et travaillent en ce sens. C’est donc à nous, pêcheurs sportifs, d’effectuer des choix conscients et responsables pour assurer aux générations futures une qualité de pêche équivalente à celle que certains ont connu il y déjà plusieurs années.
Guillaume Morin
Mouche Café
Sources:
Cliquer pour accéder à trout_movement.pdf